Tigre Blanc : Netflix regarde l’Inde en face

Pas de chapeau pour le moment

Le Tigre Blanc – Ramin Bahrani – 2021

Alors que ses principaux concurrents restent encore et toujours fermés à double tour, il semblerait que Netflix – plateforme streaming qu’on ne présente plus – profite de cette période blanche pour rattraper son retard. Lequel ? Celui des films qui, face aux séries originales, peinent encore à nous faire saliver. Jusqu’à ce jour : un thriller surgit et – dans un rugissement – redonne vie aux films Netflix et au cinéma indien.

Évidemment, nous n’avons pas raté le coche. Il faut dire qu’entre Tigre Blanc et moi, c’est une grande histoire d’amour. Un coup de foudre adolescent partagé avec les pages du best seller éponyme de l’écrivain indien, Aravind Adiga, il y a quelques années de cela. Je l’avais dévoré. Mais voilà qu’un des proches amis de l’auteur, le réalisateur iranien Ramin Bahrani s’est donné pour mission de l’adapter au cinéma. Entre hâte et appréhension, j’ai donc allumé mon écran. TOU DOUM !

UN HÉROS INSATIABLE ET IMMORAL

Tigre Blanc incarne un élan nouveau en matière d’intrigue bien connue. Le self made man n’est plus ce qu’il était – et c’est tant mieux ! Fini les rêveries américaines de l’homme qui, armé de courage et d’acharnement parvient à « se faire tout seul ». De villageois de campagne à entrepreneur ambitieux, Balram Halwaï nous raconte comment il est parvenu à s’extirper de la cage aux poulets – celle des serviteurs dociles et soumis à leurs maîtres. Comment ce pauvre chauffeur d’un jeune mafieux indien, Ashok, va -t-il devenir aussi rare, majestueux, menaçant que le tigre blanc ? Honnêtes gens, passez donc votre chemin…

Commence alors une série de coups de pieds : D’abord dans la tête du héros, puis – à mesure que celui-ci se mue en anti-héros – dans la tête de ses maîtres – et du même coup, des spectateurs. Très vite, on déchante : sous fond de « plus grande démocratie du monde » – sarcasme quand tu nous tiens – L’Inde des castes recule pour laisser place à l’Inde moderne qui synthétise rapidement ce charabia hiérarchique en deux grandes catégories millénaires : les pauvres serviteurs et les riches maîtres. Ce qui ne change pas ? Qui que vous soyez, votre condition est ce qu’elle est. Pas moyen d’en sortir Mais Balram est plus instruit, plus ambitieux, plus observateur que ses pairs. Ce qui va lui valoir d’être l’exception.

A quel prix cependant ? Dans ce récit d’apprentissage, les leçons que tirent le héros vont de pair avec sa part sombre. Si l’Inde moderne en arrière plan n’est pas de tout repos, elle convient parfaitement à la cruauté, au sarcasme et à la folie qui bouillonnent et bouillonnent encore jusqu’à ( faire ) déborder notre petit chauffeur. Plumer son maître tout en étant poulet, ça prend du temps. A moins de devenir tigre blanc… Une pulsion d’ambition que l’on retrouve dans l’œuvre de Chila Kumari Burman, artiste indo-britannique, au féminisme félin et lumineux (retrouvez son interview ici ). Avec ça, pas étonnant qu’elle ait collaboré avec Netflix UK, réalisant une installation rugissante spéciale Tigre Blanc. 

Autre chose encore : A tous ceux qui croiraient ces temps-ci au manichéisme franchement pratique, aux forces bien distinctes du bien et du mal , Tigre Blanc vous posera sûrement problème. On puise dans la nuance et les rapports de force fluctuants. Haïr le maître ? L’adorer ? Blâmer le serviteur ? Ou l’excuser ? Une chose est sûre : c’en est fini du Bollywood clinquant. L’Inde plus puissante, plus sombre que jamais nous regarde en face, fusse-t-il au crible de notre plateforme de streaming. Si bien qu’entre le noir et le blanc, bon courage désormais pour pointer le coupable et l’innocent.

Perla Msika

La Perle

Le Tigre Blanc (Titre original : The White Tiger)
Un film de Ramin Bahrani
Date de sortie : 22 janvier 2021
Durée : 2 heures et 7 minutes 
Réalisateur : Avec : Adarsh Gourav, Priyanka Chopra Jonas, Raj Yadav
 Le Tigre Blanc est inspiré du best seller éponyme d’Aravind Adiga publié en 2008