Dalel Ouasli : sud sur toile

Parqués entre quatres murs, nos corps confinés rêvent de soleil et d’air frais. Empreint de la dolce vita du sud français, l'œuvre de Dalel Ouasli saura nous faire patienter.

« Cette toile, vraiment, elle me fait voyager… » 

Vous aussi, on vous l’a déjà faite, non ? Cette réplique de musée, cette phrase un peu bateau aux airs de pensée profonde. Généralement, elle est prononcée par celui qui plisse les yeux pour feindre une réflexion intense. 

Vous, devant la toile, vous écarquillez les yeux, l’air perplexe : en quoi quelques coups de pinceaux aux quatre coins d’un tableau peuvent possiblement vous payer, d’un simple regard, un vol Paris – Marrakech ? Non mais franchement. 

Pourtant , au-delà de la pseudo-évasion à laquelle peuvent prétendre quelques âmes torturées, il existe bien des artistes dont l’identité propre respire le voyage, le brassage. Et pour tout dire, il m’a suffit de parcourir le profil Instagram de Dalel Ouasli pour retrouver la nudité estivale, la rumeur des criquets, la dolce vita du Sud français. 

Bien loin de mon intérieur parisien cerné par d’aguicheurs filets de lumière, j’ai décidé d’envoyer mes questions à Dalel dont les visages aussi pluriels qu’anonymes, ont servi de rencontre colorée. 

Comment es-tu devenue artiste ? 

Aujourd’hui les choses s’imposent à moi. Je me suis plongée dans la peinture car c’est ce qui me plaît et c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Mes parents me rêvaient avocate ou médecin et moi, je rêvais d’être artiste. J’ai toujours eu une pratique artistique à côté de mes études. D’ailleurs, peu après mes études en finance, je suis allée à Londres, puis à Paris et, en parallèle de mon travail, je me suis engagée à titre personnel dans des ateliers de dessin et peinture où j’ai pris entre autres, des cours de modèles vivants. J’ai également suivi des cours d’initiation à l’Histoire de l’art à l’Ecole du Louvre. Ces expériences ont été un véritable déclencheur : elles m’ont confortée dans mon objectif de carrière.

Au fil des années, j’ai donc compris que la création était en moi et c’est pourquoi je souhaite aller plus loin dans l’expression de ma peinture, développer mon regard de façon plus large et plus profonde pour alimenter ma création. Je ne connais pas tout sur l’art et notamment l’art contemporain mais je sais que j’ai envie d’être artiste. S’il n’y avait pas de peinture je ne sais pas ce que je ferais…

Tu as grandi dans le Sud de la France, là où la douceur de vivre y est un art de vivre. On peut d’ailleurs reconnaître cette atmosphère au travers des teintes pastels que tu utilises, n’est ce pas ? 

J’ai passé mon enfance et les débuts de ma vie d’adulte du côté d’Aix-en-Provence, entourée de nature et de culture. Je m’inspire énormément de cette atmosphère méditerranéenne, de la lumière, des couleurs ; de la sérénité qui y règne, de la douceur du temps, de l’énergie qu’on ressent et de l’espace qui nous entoure. Je suis originaire d’une région ouverte sur la Méditerranée, une terre de brassages : au fil des siècles cette région a accueilli peuples et cultures issus de toutes les rives du bassin méditerranéen. C’est ce qui fait aujourd’hui sa richesse. Cet environnement très stimulant m’invite à aller plus loin dans l’exploration des formes et des couleurs. Chaque couleur que j’utilise répond donc à une autre couleur, en révèle les qualités, de même que les formes que j’utilise. Pour moi un monde sans couleurs c’est comme un monde sans amour.

Le portrait semble être ton genre pictural privilégié. Pourtant, ta manière de représenter les visages revêt un caractère assez anonyme. Paradoxal, non ? 

C’est une question très intéressante que je ne m’étais jamais posée auparavant. Ce que je peux dire c’est qu’il y a une démarche très naturelle dans ce que je fais. Je peins ce qui me parle, tant les humains que la nature. L’artiste Johanness Itten qui enseignait au Bauhaus a démontré à travers sa pédagogie, la correspondance entre la peinture et l’artiste : je suis donc en quelque sorte le sujet, une base pour mes peintures. 

Je m’intéresse aussi à l’image des humains aussi divers soient ils, aux stéréotypes d’identités, d’origines ou bien de genre et j’aime qu’on trouve des interstices pour s’en affranchir : être libre et égaux. On voit souvent des images avec des personnes de toutes les couleurs qui se donnent la main etc… Moi j’ai voulu proposer quelque chose de différent, de personnel. Je travaille sur ce qu’il y a de commun en nous, ce qui nous rapproche. En peignant mes personnages de la même manière j’ai paradoxalement envie de montrer qu’on est différent. Mes peintures invitent à l’humanisme, au partage et refusent l’uniformisation qui enferme. Notre regard peut enfermer les autres dans une bulle étroite mais il peut aussi les libérer. Ce que je veux montrer c’est qu’on se ressemble. On est à la fois personne et tout le monde, unique et multiple.

J’aime beaucoup le roman Léon l’africain d’Amin Maalouf, qui traite notamment de nos identités multiples. Comme le dit très bien l’auteur, « notre identité n’est pas donnée une fois pour toute, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence ». Celle de Hassan El Wazzan, véritable nom de Léon l’Africain, a, en l’occurrence, évolué toute sa vie. 

Sur tes visages, tu superposes différentes couleurs de peau. Un message derrière ce parti pris ? 

Je m’inspire de ma vie, de mes cultures. Nous sommes tous fait de plusieurs cultures et je pense que notre environnement nous influence, que nos appartenances sont multiples. Je développe donc des couleurs en fonction de ce que je vis, en fonction des moments, des saisons et des lieux. J’aime l’idée de patchwork de couleur qui renvoie à un patchwork de cultures.

Parlons de nature et de végétation. Toutes deux semblent agir comme toile de fond à toutes tes œuvres…

La nature est pour moi une œuvre d’art éphémère. L’Homme fait partie de la nature et elle est indispensable à son existence. En revanche, la nature n’a pas besoin de l’Homme pour s’épanouir. Je pense qu’elle se porterait même mieux sans l’être humain… On peut notamment le constater en ce moment ! J’aime qu’on s’interroge sur notre rapport à la nature, sur son importance et sa nécessité. J’aime les couleurs de la nature et ses formes harmonieuses. Il faut absolument lire le récit de Jean Giono « L’homme qui plantait des arbres » qui est pour moi une œuvre grandiose, poétique, avant-gardiste et une éloge à la nature.

En parallèle de la peinture, tu fais aussi de la céramique. As-tu déjà pensé à faire de tes modèles peints de véritables sculptures ? 

J’ai effectivement pris quelques cours de céramique. J’en ai fait plus jeune et j’ai voulu retenter l’expérience aujourd’hui. J’aime beaucoup le contact avec la terre. Lorsque j’aurai plus de temps et un atelier plus grand, je m’essaierais à la sculpture afin de – par exemple – peindre des bustes ! 

T’est-il déjà arrivée de manquer d’inspiration devant le chevalet ? Si oui, comment gères-tu ce problème ? Quelles sont les choses qui t’inspirent pour travailler ? 

Dès qu’une idée me vient, je la note ou la griffonne dans un de mes carnets. Je ne suis jamais vraiment à cours d’idées car j’aime explorer des choses différentes. Un livre peut très bien m’inspirer ; le cinéma, la nature, les voyages, la musique, les gens qui m’entourent aussi, mes proches. 

J’aime tout particulièrement le musicien Dhafer Youssef, un oudiste qui allie des mélodies classiques orientales à celles du jazz contemporain. J’aime cette idée de reflet de l’autre dans la musique, de cette identité personnelle mystique et unique qu’il a développée. 

Quels sont les artistes contemporains dont tu te sens proche ? 

Ils sont nombreux ! Il y a la question du repentir chez Henri Matisse que je trouve fascinante : le regard multiple, obsessionnel qu’il a sur ce qui l’entoure, sa démarche de recherche perpétuelle, ce sentiment de renouvellement qu’il a toujours conservé… Chez Paul Gauguin, c’est plus le côté mystique, le versant sauvage, primitif et subversif qui m’intéresse. J’aime cette idée de quête d’inconnu et de nouveauté. Et puis, il y a Pablo Picasso bien sûr ! 

Pour citer des femmes je dirais Frida Kahlo et Artemisia Gentileschi qu’on connait moins, mais que j’aime pour sa persévérance dans une époque dominée par les hommes! J’aime le concept de réinterprétation, de mélange des styles et notamment dans les céramiques de Laurence Leenaert qui réinterprète un artisanat traditionnel de manière graphique et poétique. 

La peinture peut aussi s’inscrire dans un rapport quotidien avec la mode. Je pense notamment aux photos d’Irving Penn dont le travail mêle simplicité et rigueur. Je suis très admirative de sa maîtrise de l’espace, des volumes et de la lumière.

Quels sont tes projets pour 2020 ?

J’aimerai partir en voyage, continuer à peindre, aller sur des terrains que je ne connais pas pour alors développer de nouvelles choses.

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

Instagram : @dalelouasli