A quoi pense Hamlet ? L’Opéra Comique répond

Dans cette adaptation chantée du chef-d'œuvre de Shakespeare, il est d’abord question du tourment intérieur des personnages. Passion, trahison, esprit de vengeance, cette mise en scène moderne convoque un subtil trois en un - théâtre, opéra, cinéma - pour percer l’intimité d’une pièce emblématique.

Dans cette version chantée de la pièce de Shakespeare, les sentiments sont au premier plan de la lutte de pouvoirs. Crédit photo : Laurent Alvaro (Claudius).

« A quoi tu penses ? » Tout droit venue de l’extérieur, la question brusque notre intimité. Elle nous tire de nos rêveries, de nos doutes, de nos tourments, et nous invite – sans qu’on l’ait demandé – à les partager. Une question simple mais compliquée à laquelle tente de répondre l’adaptation chantée « d’Hamlet », chef-d’œuvre de Shakespeare (1603), à l’Opéra Comique.

Figure romantique par excellence, Hamlet est sans doute l’un des personnages de théâtre qui gamberge le plus : au royaume du Danemark, le mélancolique jeune homme est hanté par le fantôme de son père, le roi. Celui-ci lui révèle avoir été assassiné par Claudius, son frère, qui s’est emparé du trône et a séduit son épouse, Gertrude. Entre la trahison et son amour pour la belle Ophélie, Hamlet, perdu, jure de le venger.

DANS LA TÊTE D’HAMLET

Dans cette lutte de pouvoirs, on aurait pu convenir d’une fresque épique laissant éclater une guerre entre le fils, épris de justice, et l’oncle, assoiffé de puissance. Binaire, grandiose, historique. Mais dans cette version chantée, c’est davantage la petite histoire, celle des sentiments, qui s’épanche sur scène. Hamlet, interprété par Stéphane Degout, se montre moins pugnace à faire éclater la vérité que tourmenté par son entreprise de vengeance et sa relation à Ophélie. Le spectateur contemporain tend l’oreille aux confidences d’Hamlet. Peu au fait des histoires de royaumes et d’héritiers, il s’en remet à l’opéra pour y trouver plus de relief, plus d’intimités.

Une mélancolie contagieuse propre au contexte culturel de l’époque. Composé et écrit en 1868, cet opéra d’Ambroise Thomas appartient à l’ère du romantisme. Au lendemain de la Révolution et du règne déchu de l’empereur Napoléon, la désillusion coule dans les veines de toute une génération. Parmi eux, des artistes maudits : dans leurs textes et leurs musiques, ils exposent leurs ambivalences, leurs bizarreries, leur quête de vérité. En ce sens, l’opéra Hamlet est un classique du genre, et ses personnages, bavards de confidences et de secrets. Moderne, la mise en scène de Cyril Teste ( 2018 ) prolonge cette atmosphère. Les lumières tamisent le royaume du Danemark. Sobres, les costumes se fondent dans le décor pour laisser parler la véritable ambition de cette mise en scène : l’usage du film et de la caméra.

“L’USAGE DU FILM CORRESPOND À L’IDENTITÉ DU THÉÂTRE DE SHAKESPEARE DONT « L’ART D’ENCHAÎNER LES SCÈNES » FERAIT DE LUI « L’INVENTEUR DU CINÉMA.»

Crédit photo : Sabine Devieilhe (Ophélie).

COMME AU CINÉMA

Sur scène, une caméra déploie les points de vue de l’intrigue. Grâce au grand écran, toile de fond du décor, elle donne accès à plusieurs perspectives de l’action scénique. Zoom sur le visage d’une cantatrice, sur un moment d’intensité ou même sur un personnage auquel le spectateur ne prêtait pas attention. De dos, Ophélie et Hamlet échangent des mots à l’abri des regards du public. Mais la caméra, face à eux, les projette sur le grand écran. Elle ne manque pas, non plus, de les filmer hors champ, dans les coulisses ou ailleurs. Éconduit par son amant, Ophélie se lamente, verre à la main, au bar du théâtre. Avant ou pendant la représentation, derrière les planches ou hors du théâtre, l’action ne surgit pas sur scène. Grâce à la caméra, elle s’inscrit dansle temps et dans une profondeur plus riche de sens.

Interrogé, Cyril Teste a justifié ce choix audacieux : pour lui, l’usage du film correspond à l’identité du théâtre de Shakespeare dont « l’art d’enchaîner les scènes » ferait de lui « l’inventeur du cinéma.» Bon nombre de ses pièces sont d’ailleurs adaptées à l’écran dont… Le Roi Lion, version anthropomorphe d’Hamlet( 1994 ) ! Comme l’opéra de Thomas, le chef-d’œuvre de Walt Disney fait le choix d’une fin ouverte où le personnage principal, contrairement au texte d’origine, ne se suicide pas après avoir tué son oncle. En proie à l’incertitude de son règne, Hamlet monte sur le trône. Que lui réserve l’avenir après une telle intronisation ? Comment survivre à la mort de ses proches, de sa bien aimée ? Retour à la case départ. Plus esseulé, plus tourmenté, plus mélancolique que jamais.

Le spectateur contemporain tend l’oreille aux confidences d’Hamlet. Peu au fait des histoires de royaumes et d’héritiers, il s’en remet à l’opéra pour y trouver plus de relief, plus d’intimités. Crédits photo : Stéphane Degout (Hamlet), Sabine Devieilhe (Ophélie), Laurent Alvaro (Claudius).

Perla Msika

La Perle

“Hamlet”
Opéra en cinq actes d’Ambroise Thomas ( 1868 ) 
Du 24 janvier au 3 février 2022
Opéra Comique
1 Place Boieldieu 75002 Paris
Mise en scène ( 2018 ) : Cyril Teste 
Direction musicale :
Louis Langrée